Relocalisation industrielle : quels besoins logistiques ?
La crise sanitaire a mis à jour la dépendance française à l'égard des pays d'accueil d'une industrie délocalisée depuis plusieurs décennies. Sans entrer dans la causalité du phénomène, ni détailler les leviers essentiels d'une réindustrialisation, cet article propose de réaliser un panorama rapide de deux composantes importantes de l'économie française, à savoir son tissu industriel et sa logistique d'entreposage. L'objectif vise à relier industrie et logistique, en posant une question simple : quels besoins d'entreposage pourraient susciter la réindustrialisation ou la relocalisation d'unités de production sur le territoire national.
C'est également l'occasion de croiser données immobilières et open-data économiques.
- Etat des lieux des secteurs de l'Industrie & Transport / Logistique
- Cartographie des effectifs salariés des secteurs de l'Industrie et Transport / Logistique
- L'immobilier logistique des acteurs industriels : point rapide
- Relocalisation ou réindustrialisation : impacts sur les surfaces d'entreposage
Etat des lieux des secteurs Industriel & Transport / Logistique
Selon les données de l'ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale)
- L'industrie concentre 3,1 millions d'emplois en France en 2017;
- Quatre régions se distinguent en termes de concentration d’emplois industriels : l'Auvergne Rhône-Alpes, l’Île-de-France, le Grand Est et les Hauts-de-France.
Le tableau des évolutions de l'emploi salarial est néanmoins hémorragique pour ces 4 régions, et même sur l'ensemble du territoire. Il n'y a guère que l'Occitanie et les Pays de la Loire pour afficher une progression, quand la Normandie et la Bretagne semblent seulement stabiliser leurs pertes d'emplois.
- Le secteur du transport et de l'entreposage représente quant à lui 1,2 million d'emplois;
- Île-de-France, Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France et Nouvelle Aquitaine occupent le tableau de tête.
Géographiquement, les évolutions de l'emploi sont très contrastées entre les régions, mais, à la différence de l'industrie, 10 régions sur 12 affichent des progressions sur la décennie écoulée. A l'échelle nationale, les 4 dernières années ont été créatrices nettes d'emplois pour le transport et l'entreposage. Ces chiffres sous-estiment le poids de la logistique, "trans-sectoriel" dans la mesure où les fonctions de stockage et d'approvisionnement concernent en fait plusieurs secteurs. Au sein même de la grande distribution, une partie des effectifs peut être spécialisée dans des opérations logistiques alors même que leur société employeuse se rattache au commerce ou à l'industrie. En incluant ces effectifs sous-jacents, l'emploi salarié pourrait se situer davantage autour de 1,8 million.
☆ Bon à savoir ☆
Le constat effectué montre sans surprise une industrie en perte de vitesse d'un côté, malgré des "intentions" renouvelées de réindustrialisation et de relocalisation; et, de l'autre côté, des fonctions logistiques pourvoyeuses d'un nombre croissant d'emplois. La géolocalisation des densités d'emplois salariés des établissements industriels et du transport / entreposage révèle la forte intimité spatiale de ces deux secteurs.
Cartographie des effectifs salariés des secteurs de l'Industrie et Transport / Logistique
Sur les mêmes territoires, deux secteurs d'activité "voisins" coexistent tout en suivant des destins quasi inverses. Première raison, les bassins de consommations sont stabilisés depuis plusieurs décennies, ainsi que les territoires et fonciers disponibles pour recevoir des fonctions de production et de distribution de marchandises. Une autre raison mérite d'être mentionnée ; elle se cache derrière le terme générique de supply chain, et, révèle deux logistiques en recouvrement partiel :
- La logistique de production, autour d'unités de production situées en France;
- La logistique de distribution, qui consiste à faire circuler des marchandises produites.
Sur les mêmes géographies, la logistique de distribution a pris le pas sur celle industrielle et une partie de l'emploi industriel d'hier s'est recyclée dans la logistique. Les exemples de plateformes logistiques prenant place sur des sites industriels fermés ou délocalisés sont d'ailleurs nombreux. La logistique de distribution compense partiellement l'industrie d'hier, même si la densité d'emplois au mètre carré reste inférieure dans un entrepôt en comparaison avec un site de production.
L'immobilier logistique des acteurs industriels, point rapide
En terme de flux dans le parc d'entrepôts logistiques, la demande placée auprès d'acteurs industriels (le nombre de m² loués ou vendus à un utilisateur final) atteint 2,7 millions de m² sur la décennie écoulée (entre 2010 et 2019) soit 10% seulement du volume total. Ce pourcentage est en fait sous-estimé, prenant seulement en compte les opérations menées en compte propre par ces industriels, qui font souvent appel à des logisticiens et des transporteurs pour opérer leur logistique. En incluant ces acteurs, on peut estimer que les besoins de surfaces d'entreposage suscités par le secteur industriel avoisinent les 15% du volume total.Demande placée d'entrepôts logistiques selon le secteur d'activité
☆ Bon à savoir ☆
Daher, Airbus, Renault, AGCO et Michelin figurent parmi les 5 principaux consommateurs de surfaces d'entreposage et concentrent près du tiers de la demande placée des 10 dernières années (30 opérations). Derrière le top 10 des utilisateurs, en lien avec l'aéronautique, l'automobile et leurs sous-traitants, le profil de ces acteurs devient rapidement hétérogène, aussi bien en termes de taille d'entreprises que de marché de débouché. Leur supply chain sont souvent très spécifiques à leur activité (réseau de fournisseurs de rang 1 ou 2), et leurs besoins en surfaces d'entreposage très variables.Le portrait "type" des transactions répertoriées depuis 10 ans fait apparaître une taille moyenne de bâtiment de l'ordre de 14 000 m², un format très compact comparé à la grande distribution alimentaire (30 000 m²) ou spécialisée (25 500 m²). Cette différence sous-entend que les acteurs industriels n'ont pas suivi la tendance à massifier leurs solutions entreposage, soit en raison de capacités d'investissement contraintes, soit en raison de besoins limités de surfaces. En termes de géographie, 60% de la demande placée des acteurs de l'industrie s’est concrétisée dans un périmètre compris entre 10 km et 40 km autour de la métropole la plus proche. Près de 30% de la demande placée logistique peut néanmoins être qualifiée de "lointaine" (en marge des principales métropoles), exprimant un maillage assez fin du territoire au sein d’entrepôts "compacts". Il s'agit en effet souvent d'acteurs industriels de "taille moyenne", ou de filiales de groupes industriels implantés localement parfois de longue date, qui expriment des besoins peu consommateurs de surfaces d'entreposage. Leurs impératifs de stockage en débord sont, en outre, souvent pris en charge par des logisticiens.
⋯ À lire aussi : Point Marché Logistique
Relocalisation ou réindustrialisation : impacts sur les surfaces d'entreposage
Ce portrait succinct désormais établi, combien de mètres carrés d'entreposage supplémentaires une relocalisation ou une réindustrialisation pourrait susciter à 5 ou 10 ans ?
En supposant un soutien efficace des politiques publiques et fiscales - et la viabilité des modèles économiques que sous-tendent ces rapatriements - la concrétisation de ce type d'opérations ferait passer plusieurs maillons des supply chain de production sur le territoire national. Les chaînes d'amont de la production (intrants, produits intermédiaires ou semi-finis en provenance des fournisseurs) seraient de fait re-routés vers ces sites de production. Ce repositionnement des chaînes d'approvisionnement induirait en aval une montée en charge des besoins de stockage de produis intermédiaires ou finis. En complément de la relocalisation, dont les besoins de stockage dépendent en fait des spécificités des supply chain de chaque entreprise, l’allègement de l'impôt sur la production - parmi les plus élevés d'Europe - est de nature à stabiliser un certain nombre d'acteurs fragilisés, candidats au départ, ou ne plaçant pas la France en tête de leurs choix de création de sites de production.
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Selon nos estimations, l'application d'une politique industrielle crédible est susceptible de stimuler les besoins de stockage émanant de l'industrie dans une fourchette allant de 5% à 15%, soit entre 70 000 m² et 200 000 m² chaque année. Dès lors que s’opéreraient les pleins effets d'une politique de réindustrialisation / relocalisation, c'est entre 700 000 m² et 2 millions de m² d'entreposage qui seraient potentiellement dédiés à l'immobilier d'une logistique industrielle sur 10 ans. Au-delà des mètres carrés, c'est aussi un nombre substantiel d'emplois qui sont susceptibles d'être créés.
Ces estimations restent évidemment des hypothèses de travail, tributaires de la réussite de politiques de réindustrialisation à moyen / long terme, sachant que toutes les industries ne sont pas délocalisables pour des raisons très diverses (coûts de production, normes de pollution, localisation des marchés de débouchés etc.) Une modélisation plus poussée nécessiterait d'identifier les acteurs susceptibles de rapatrier certaines unités de leur chaîne de production puis d'estimer dans quelle proportion la reconfiguration de certains maillons de leur supply chain sur le territoire national générerait des besoins de mètres carrés nouveaux, avec les emplois qui y sont associés.