Lutte contre l'artificialisation des sols : quels effets sur le marché logistique ?
La question de l’artificialisation a occupé d’année en année une place grandissante dans les médias. Introduit dans le Plan Biodiversité de 2018, la sobriété foncière se place désormais au cœur des grands enjeux écologiques, et plusieurs propositions émises dans le cadre de la Convention Climat Citoyenne ont confirmé son importance. La loi Climat et Résilience officiellement promulguée et publiée au Journal officiel le 24 août y consacre plus de 40 articles.
Les effets de l’artificialisation des sols sont en fait transversaux. Limiter ce processus permettrait aussi bien de préserver la biodiversité (réduction du nombre d’espèces) que de limiter le réchauffement climatique (un sol artificialisé absorbe moins de CO2), les inondations et la diminution des terres agricoles.
L’objectif fixé par les pouvoirs publics vise à diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici 2030, puis d’atteindre le zéro artificialisation nette d’ici 2050.
Effectuons un rapide état des lieux de la question et de ses pistes d’évolutions réglementaires pour en mesurer les effets potentiels sur l’immobilier logistique.
- Artificialisation d’un sol : qu'est-ce que c'est ?
- A quelle rythme artificialise-t-on en France ?
- Quelles sont les fonctions les plus consommatrices de foncier ?
- Les fonctions logistiques et leur immobilier au cœur de nombreuses contraintes
- Quels effets pourrait avoir un durcissement des réglementations en matière de constructions d’entrepôts ?
- Constructions d’entrepôts et consommation de surfaces d'entreposage
Artificialisation d'un sol : qu'est-ce que c'est ?
Il s’agit de transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d’aménagement pour les destiner à des fonctions « urbaines » (habitat, activités, commerces, infrastructures, équipements publics…) Cette transformation entraîne une imperméabilisation partielle ou totale qui peut affecter tout ou partie des propriétés des sols (source : ecologie.gouv.fr External Link)
A quelle rythme artificialise-t-on en France ?
Selon le Ministère de l’Ecologie, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année, à un rythme presque 4 fois plus rapide que la croissance de la population. Deux facteurs alimentent le phénomène : la métropolisation (croissance des grandes métropoles en termes de population et de fonctions) et la périurbanisation (expansion des villes et des constructions en périphérie des zones déjà bâties). La préférence pour l’habitat individuel et la propension des communes à accueillir des activités productives, source de recettes fiscales (taxe foncière sur les propriétés bâties) jouent aussi un rôle significatif.
Un certain nombre de mesures sont actuellement évoquées pour ralentir ce rythme d’artificialisation et atteindre l’objectif du zéro artificialisation nette.
Quelles sont les fonctions les plus consommatrices de foncier ?
L’habitat reste de loin la principale cause d’artificialisation des sols en France (près de 70% en moyenne), très loin devant les fonctions économiques (regroupant industrie, commerce, tertiaires et fonctions d’entreposage), qui, prises ensemble, sont responsables de 25% de l'artificialisation. Selon l’étude de 2014 du Ministère de l'Agriculture évoquée par Gilles Saubier, administrateur d’AFILOG, les fonctions logistiques représentent en fait moins de 4% de l'artificialisation des sols. Même en admettant que ce ratio soit plus élevé, freiner les développements de projets d’entrepôt logistiques se bornerait à agir sur un levier d’action « marginal ».
☆ Bon à savoir ☆
Cette artificialisation, majoritairement issue de la construction de logements, fait apparaître une préférence pour les façades océaniques et méridionales, sans recouvrement complet avec le corridor logistique français.
En fait, l’armature logistique française s’est structurée pour desservir les principaux bassins de population. Le niveau d’urbanisation atteint par ces pôles denses de population est déjà élevé. Il serait difficile d’attribuer l’artificialisation des arcs atlantiques et méditerranéens à des fonctions logistiques souvent concentrées en hubs, qui accompagnent d’une certaine façon les dynamiques démographiques. Autrement dit, l'appareil logistique français ne fait au mieux que suivre les populations.
Les fonctions logistiques et leur immobilier au cœur de nombreuses contraintes
La plupart des objets qui nous entourent ont tous un jour ou l’autre séjourné dans des entrepôts et voyagé par camion, bateau, train ou avion. Les chaînes d’approvisionnement, qu’elles soient liées à l’industrie ou la distribution, forment la colonne vertébrale de nos tissus économiques modernes.
Les dimensions stratégiques et vitales de ces fonctions d’approvisionnement ont largement été mises en évidence au plus fort de la crise sanitaire du Covid-19. Nos économies reposent sur l’échange de biens, de services qui nécessitent une logistique performante, agile et résiliente. La filière logistique représente 10% du PIB national, 200 milliards d’euros de chiffres d’affaires, et près de 2 millions d’emplois.
Les chaînes d’approvisionnement s'appuient sur des réseaux d’entrepôts dont les choix d’implantation répondent à une équation complexe : trouver la « meilleure » localisation, dans un temps raisonnable, compte tenu des coûts du foncier et de ses contraintes de constructibilité, au sein d’un réseau d’approvisionnement existant ou en développement. Cette « meilleure » localisation est en fait un compromis entre un barycentre idéal (mais théorique), et la réalité d’une offre foncière ou dans le bâti existant. La qualité du bassin d’emplois vient moduler ces choix de localisation, de même que la fiscalité locale.
Maintenir à un niveau élevé de performance l’outil logistique nécessite souvent de construire des bâtiments en périphérie des centres urbains, généralement au sein de hubs dédiés, en raison des nuisances qui y sont associées (bruit, trafic, pollution) et d’une compétition pour les destinations les plus "valorisées" (résidentiel, commerce).
Pour des motifs réglementaires, techniques, normatifs ou fiscaux, il est parfois impossible, complexe, long ou non rentable de réemployer des friches urbaines ou d’anciens sites industriels en déshérence, qu’ils soient en périphérie des villes ou proches des centres urbains.
Les développeurs étant souvent contraints de « repartir à zéro » en termes d’autorisations d’urbanisme et d’ICPE (Installations Classées pour le Protection de l’Environnement) même pour d’anciens sites, les développements en « greenfield » (plein champ) - sur un foncier moins onéreux pour un délai de développement raisonnable - sont souvent privilégiés.
Territoires et pays sont en concurrence pour attirer entreprises et emplois, mais disposent d’outils réglementaires et fiscaux parfois dissemblables (ou interprétés différemment), alimentant déséquilibres et instabilités juridiques. Ajoutons à cela des conditions de rémunérations salariales et de couvertures sociales qui peuvent être très différentes selon les pays, au sein même de l’union européenne.
Quels effets pourrait avoir un durcissement des réglementations en matière de constructions d’entrepôts ?
Petit exercice de simulation. Imaginons une application rigide, brutale et dogmatique de mesures visant à lutter contre l’artificialisation sans aucune contrepartie « facilitatrice » pour la filière logistique et son immobilier. Tour d’horizon des conséquences possibles :
- Une inadéquation (encore) plus forte entre l’offre immobilière et les besoins exprimés par les utilisateurs (chargeurs ou logisticiens) ;
- Un allongement des calendriers de développement des opérations et des coûts de portages ;
- Une polarisation sur les hubs logistiques existants, au détriment d’une répartition plus adaptée aux besoins des utilisateurs finaux ;
- Une augmentation des prix du foncier, en particulier en cas de gel des développements nouveaux ou de possibilité d'extensions de ces zones ;
- Un accroissement du déséquilibre entre les acteurs disposant de réserves foncières importantes et d’autres intervenants moins bien dotés en la matière ; une barrière plus forte pour les nouveaux entrants sur le marché ;
- Une congestion du trafic sur certains tronçons et nœuds routiers correspondants à des hubs saturés ;
- Un déséquilibre entre des chargeurs (commerce au sens large) œuvrant dans les secteurs les plus valorisés par les pouvoirs publics / politiques ;
Ce sombre tableau d’un outil logistique « pétrifié » - exagérément poussé à l’extrême - a le mérite de mieux faire saisir les externalités secondaires émergeant de décisions déconnectées d’un principe de réalité. Concrètement, les rapports de force sont encore l’objet d’une négociation entre les acteurs privés, les collectivités locales et les instances réglementaires. Le sentiment d’urgence écologique ne doit pourtant pas faire oublier le support physique essentiel au bon fonctionnement de nos sociétés : des flux physiques sur des routes qui font étape dans des entrepôts.
Maintenir un outil immobilier logistique performant et compétitif pour les entreprises utilisatrices nécessite dans la majorité des cas de se positionner sur des solutions d’entreposage neuves donc à construire. Les fonctions logistiques et leur immobilier sont encore largement considérés comme un poste de coûts. Rationalisation des process et économies d'échelles sont les maîtres mots d'un secteur qui n'a aucun intérêt à surdimensionner gratuitement ses capacités d'entreposage.
Derrière les grands entrepôts XXL bâtis ces dernières années s'expriment en fait souvent des regroupements de sites. Les 4 dernières années ont vu les consommations d'espaces logistiques stimulées par d'importants cycles d’investissement destinés à rationaliser et à optimiser ces supply chain ; ils ont nécessité de trouver des terrains aptes à recevoir ces activités logistiques. Les prises de position sur des sols naturels ou agricoles sont souvent des choix « par défaut », s’agissant de la meilleure solution possible.
Dans ces conditions, on observe un couplage entre la consommation de surfaces d'entreposage (location ou vente) et les volumes nouvellement construits. Derrière ce constat trivial, la réalité est que les utilisateurs d'entrepôts ne trouvent que peu de solutions adaptées dans le parc existant. Si l'on compare néanmoins les volumes construits depuis 2000, les fonctions d'entreposage se placent en queue de peloton par rapport aux commerces et aux locaux destinés à l'industrie (ou l'activité).
Constructions d’entrepôts et consommation de surfaces d'entreposage
Après un plateau de 2006 à 2014, constructions et commercialisations d'entrepôts ont clairement décollé, effet d’un cycle d’investissement dans la refonte des chaînes d'approvisionnement de la grande distribution.
Ce que montre la mise en perspective de la construction d’entrepôts et de la demande placée, c’est que cette hausse des « consommations » de surfaces d’entreposage est restée largement contenue au sein même du parc existant : alors que la demande placée a quasiment doublé au cours des 5 dernières années comparé aux 5 années précédentes, les constructions d’entrepôts neufs sont loin d’avoir suivi cette ascension. Une partie de ce bâti existant reste cependant inadaptée aux cahiers des charges de nombre d’utilisateurs, et s’avère même gravement inefficiente sur le plan énergétique.
Partant du principe que la logistique est une composante importante de l’attractivité économique du pays et qu’une partie du parc existant est énergétiquement obsolescent, on a tout à gagner à faciliter la construction de neuf… sur du « vieux ».
Les secteurs de la distribution, du commerce et de la logistique y gagneraient une meilleure adéquation entre la demande exprimée et l’offre, dans un bâti plus fonctionnel et plus vertueux sur le plan environnemental.
Les complexités administratives, fiscales, réglementaires et normatives sont les principaux freins au recyclage des fonciers auparavant dédiés à des fonctions tertiaires au sens large. Ces remplois seraient salutaires pour donner une seconde vie à des friches issues de décennies de désindustrialisation.
Dans un certain nombre de cas où la ville est venue « encercler » des terrains auparavant industriels, la conception de programmes mixtes est également envisageable. Evidemment, construire des entrepôts sur des fonciers en déshérence ou en lieu et place de sites d’entreposage sous-performants n’est pas toujours possible d’un point de vue technique ou sécuritaire, mais cette solution permettrait de concilier « en même temps » raison économique et raison écologique. Dès lors que la sécurité des personnes n’est pas mise en danger, libérer certains fonciers en desserrant quelques carcans réglementaires limiterait au final les nouvelles artificialisations.
Les acteurs de la construction et les utilisateurs d'entrepôts logistiques entendent bien "faire leur part" pour limiter l'artificialisation, mais encore faut-il que les cadres réglementaires le leur permettent. Alors que la réindustrialisation reste pour le moment un vœu pieux, cette voix portée par les représentants de la logistique ne vise pas à libéraliser et déréguler à outrance, mais à pouvoir continuer de répondre aux besoins économiquement fondés de ses utilisateurs, soit l’essence même de l’industrie immobilière.